29 juin 2013
paresse passagère
Donc en vrac : maman est à la maison et ça m'occupe. Elle va bien. Très bien, même, si j'en crois la façon dont elle a réagi à l'épisode d'inondation qu'on vient de connaître. Ah, ça aussi, ça m'a occupé. Je n'ai pas eu l'indécence d'en parler ici, au moment où Barèges, Lourdes, et quantité de villages pyrénéens se voyaient dévastés, mais pour autant les orages du milieu de la semaine dernière ont inondé mon rez-de-chaussée. Maman a pris les fourneaux tranquillement pour nous laisser, Igor, ma nièce et moi, écoper, éponger, puis finalement arracher le parquet tout neuf dont nous venions d'équiper le bureau et la chambre d'amis où elle est installée.
Car Maman était là avec ma nièce. Elle aussi va mieux. Sa sortie de l'anorexie se fait par le biais d'une formation à la cuisine, et ça fait un an que ça marche, qui l'eut cru ? Elle est d'ailleurs repartie samedi dernier reprendre son travail dans une cantine de curés, à Toulouse.
Autrement, et bien, ça chie dans la colle au bureau, et je passe mon temps à osciller entre résistance et docilité, conviction et laisser-aller, et finalement j'essaie d'y être le moins possible, physiquement comme dans ma tête. Il se passe quelques belles choses ailleurs, pour oublier ces mesquineries et le sale temps.
Je goûte son corps blanc picard avec délectation, je m'abandonne à lui, comme lui à moi, sans pression. Nous nous touchons, suscitons et éprouvons d'indécelables vigueurs, découvrons les parcelles sensibles de nos peaux. Je retrouve le bonheur de la paresse, de l'érection partagée, le plaisir de jets puissants. Ce soir là, j'ai joui deux fois, dont la première de sa main. Ni l'un ni l'autre ne semblons demandeurs de pénétration, même si nous savons nous titiller avec doigté. Il a la cinquantaine d'un nageur, le fessier modelé et l'abdomen sec. L'avoir en bouche est un transport.
Il est parti pour quinze jours de vacances dans le sud méditerranéen. Dans ses bras, j'oublie l'ami d'amour dont les délaissements me blessent. Je cicatrise dans la distance de l'un et la présence de l'autre, mais à fleur de peau je sais la plaie encore fragile.
C'est ce soir que je retourne voir Le livre blanc, en espérant qu'un public suffisant y sera pour que la représentation ait lieu.
Pour la saison prochaine, je crois que je suis au point. Salle Pleyel, Opéra de Paris, Opéra comique, Centquatre, Châtelet, Cité de la Musique, Théâtre des Champs-Elysées... J'ai saigné mon porte-feuilles et mon compte bancaire ce mois-ci. Les bonnes places à bon marché sont au prix de cette anticipation !
Jeudi, je reconduis maman dans sa maison, près d'Aix, et m'offrirai une belle tranche d'art lyrique, avec notamment le Elektra de Chéreau, à la mise en scène duquel mon ami Thierry participe. Après quoi, nous nous offrirons quelques jours au vert, Maurice et moi. Le vrai test.
11:12 Publié dans eaux douces et autres amants | Lien permanent | Commentaires (5)
15 juin 2013
de l'inégale répartition des corps
Je n'étais pas comme Gilles au milieu du 4ème rang, ce mercredi, mais au milieu de l'avant dernier, juste devant la régie, dans une salle surchauffée, pleine à craquer. Mais le Théâtre de la Ville a l'avantage des grandes salles modernes : frontale, on y voit bien de partout et l'on n'est jamais trop loin. Mercredi, je m'y suis donc délecté de ce Kontakthof, de l'esprit professionnel et rieur que lui insuffle la compagnie du Tanztheater de Wuppertal, même en l'absence de son égérie disparue.
Peut-être te souviens-tu de cette pièce du théâtre du Campagnol d'où avait été tiré un film en 1983 : le bal. Il donnait lieu à toute une série de figures de style sur les comportements, les techniques d'approche, l'engagement dans la danse. Le parquet y était un miroir aux caractères, aux névroses, qui y éclataient toujours malgré les jeux de rôle qui voulaient en constituer le verni. C'est donc cinq ans plus tôt que Pina Bausch avait créé, sur de désuets tangos argentins et la valse triste de Sibelius le concept initial. L'oeuvre se déploie dans une langueur tranquille, l'espace y est carré, constitué d'angles droits, de chaises alignées, d'un écran derrière un rideau et de diagonales humaines, le public est le miroir des WC au dessus du lavabo où se rassurent les égos, les femmes y ont des tenues colorées quoiqu'une fois elles s'essayent au noir, les hommes ne se départissent pas de leur costard cravate. Sauf un jeune, timide audacieux, embarqué à distance dans un strip poker virtuel qui va le conduire, ainsi que sa partenaire cachée à l'autre coin, vers la nudité totale, enjouée plus que honteuse, au milieu d'autres intrigues indifférentes.
Avant-hier soir, j'étais parti voir un autre spectacle, d'une brûlante actualité pourtant. Dans le Livre blanc, jean Cocteau, son auteur d'abord anonyme, raconte son homosexualité et interroge la relégation que lui vaut sa différence. On lit dans la presse (en l'occurence dans le numéro de juin de La Terrasse) que la pièce est belle, que la mise en scène est audacieuse, que la distribution n'y a pas froid aux yeux.

Le programme du spectacle établit un parallèle entre les douloureuses esquives de Cocteau à l'époque, et le martyre toujours imposé aux homosexuels d'Egypte, dont 50 viennent d'être à nouveau déférés devant la justice égyptienne pour "débauche" et "insulte à la religion", auxquels l'on comprend que Hazem El-Awadly s'identifie.
Je suis donc bon pour y retourner, accompagné cette fois d'au moins deux partenaires pour y sécuriser ma représentation, à laquelle je n'ai pas renoncé même si cette banlieue-là se trouve à l'exact opposé de la mienne.

Ah, car cela, je ne t'en ai pas encore parlé. C'était pourtant le week-end dernier : le RSO tenait ses ultimes concerts de la saison, avec à l'affiche une Ouverture romantique de Weber et la Symphonie inachevée de Schubert. Entre les deux, des pièces courtes, modernes pour la plupart, jouées alternativement par les cordes ou les vents. Car après les fastes de l'année dernière, Salle Gaveau ou Palais de l'UNESCO pour marquer les dix ans du RSO, l'orchestre avait opté pour un programme plus introspectif. Le Temple des Batignoles a une voute assez basse. La réverbération est directe, les sons sont projetés très bas, ce qui n'est pas forcément simple pour les musiciens. Débarrassé d'un écho encombrant, le spectateur jouit en revanche d'une puissance sonore exceptionnelle sans perdre la clarté accoustique des pupitres.
Le programme donnait sa place à la singularité instrumentale. Le chef John, dont l'accent fait craquer invariablement les amis et amies qui m'accompagnent, jouait de surcroit d'une partition pédagogique pour rendre plus digeste les petites pièces de Roussel (Sinfonietta) et de Darius Milhaud (Petite symphonie de chambre n°5). C'est agréable et efficace, car chacun sort du concert à la fois réjoui et heureux d'avoir mieux compris de quoi la magie musicale est l'amalgame.
Outre la remarquable performance des musiciens, les soli de Jean-Christophe au hautbois, dans la Symphonie inachevée m'a beaucoup touché, tout comme cette composition, pourtant fort connue, dont il ne m'était encore jamais apparu que la mélodie était annoncée à chaque fois par les basses, avec à la clé une magnifique partition pour les violoncelles.
L'Eglise n'était pas vraiment remplie, ni samedi ni dimanche, mais il y avait dans l'air tourmenté de ce faux printemps, idéologiquement maussade avec ses invraissemblables giboulées fascistes, un petit quelque chose de l'ordre de la convivialité.
08:26 Publié dans eaux douces et autres amants, entre deux airs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean cocteau, rso, le livre blanc, kontakthof, pina bausch, théâtre de la ville, théâtre nout, rainbow symphony orchestra, homophobie
07 juin 2013
printemps sacrificiel
J'ai entendu le nom de Pina Bausch pour la première fois il y a une trentaine d'année. Il avait sonné comme un glas. A cette époque, la danse contemporaine avait droit de citer. Jacques Chancel animait le Grand échiquier et l'on y voyait des orchestres symphoniques en prime-time. Maurice Béjart, régulièrement invité du plateau, mais aussi de la grande scène de la fête de l'Humanité, était une figure populaire.

J'ai oublié Pina Bausch et j'en avais le droit puisque mon frère avait installé sa statue dans un coin de mon imaginaire. Elle était loin de mon itinéraire, j'étais loin du sien, loin de l'art, réfugié dans un confort domestique précaire, illusoire, où je me protégeais d'un engagement politique vertigineux. Avec Agua, elle a surgi une première fois sur mes plate-bandes au début des années 2000. Puis il a fallu sa mort pour qu'elle commence à vivre vraiment dans mon champ de pensée. Et la sortie du magnifique film hommage de Wim Wenders, avec les extraits saisissants en 3D de son Sacre du printemps, pour que le mythe acquière un visage.
Enfin, il a fallu ce mercredi pour que je comprenne d'où venait son magnétisme. C'est une des choses les plus belles et les plus puissantes que j'ai vues ces dernières années. Une humanité ramenée à son essence, jetée à même la terre, vierge comme elle. Avec ses peurs grégaires, ses communautés primales de refuge, ses pulsions de mort et celles de la survie. Une terre qui d'abord roule sur les peaux glabres, puis s'y accroche à mesure qu'elles perlent de sueur, se mêle à l'eau, badigeonne les cuirs haletants d'une boue fine. L'humanité avance vers sa bestialité, à la recherche des regards protecteurs tout en approchant l'autre. Un ballet sublime, un coeur battant aux regards éperdus, où la sophistication tribale tient lieu de sacrifice, et qui rappelle que là où se trouve la civilisation la barbarie n'est jamais loin.
La Compagnie Wuppertal de Pina Bausch sera au Théâtre de la Ville à partir de la semaine prochaine, après avoir commémoré dans une même série de représentations les 100 ans du Théâtre des Champs-Elysées et ceux de la partition de Stravinsky. J'y serai encore mercredi prochain pour Kontakthof, un autre de ses ballets, et c'est un privilège : il n 'y avait que 288 places disponibles le jour de l'ouverture de la vente, il y a un mois. J'y étais allé au petit matin, sous une pluie froide et pénétrante. Instruit par ma jeune expérience de l'Opéra de Paris, j'avais préparé quelques tickets numérotés, ce qui permit à chacun de connaître son ordre de passage sans avoir à guetter les resquilleurs ni s'interdire une pause café, au chaud, de temps en temps. Car commencée vers 7h du matin, à 3 ou 4, la queue était conséquente à 11h, à l'ouverture des caisses, avec plus de 180 amateurs qui ne seraient pas tous servis. Il s'est trouvé une jeune fille pour déplorer l'infantilisation du procédé. La plupart des autres étaient reconnaissants de ne pas avoir eu à jouer des coudes pour espérer le graal et faire respecter la règle du premier arrivé.
J'ai vu souvent des queues tourner au cauchemar, et les êtres les plus civilisés virer en vulgaires barbares, juste parce que manquait l'outil du respect et de la confiance, la petite touche d'organisation qui change tout. Des bouts de papier avec un numéro, c'est la feuille de papier à cigarette qui sépare la solidarité de la sauvagerie, l'humanité de la bestialité, la joie des frustrations.
Il suffit d'une pichenette pour anéantir la civilisation, changer l'amour en haine, le goût de la famille en homophobie rampante, l'homophobie crachée en signal de violence et en déchaînement fasciste.
Le coeur bat toujours sur une terre vierge et d'un regard, d'un mot, un jeune de 18 ans peut y laisser sa peau.
17:17 Publié dans eaux bouillantes, entre deux airs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pina bausch, le sacre du printemps, igor stravinski, théâtre des champs-elysées, théâtre de la ville